Accoucher en France : quand la vie devient une variable d’ajustement
4.1 Le scandale des accouchements en France d’Anthony Cortes et Sébastien Leurquin, paru aux éditions Buchet-Chastel, n’est pas une simple enquête : c’est un électrochoc. Un travail journalistique colossal qui révèle une réalité glaçante : en France, la mortalité maternelle et néonatale augmente. Et ce n’est pas une fatalité, c’est une conséquence.
Le livre démonte, preuves à l’appui, les conséquences d’un choix politique entamé dès les décrets de 1998. Ces textes, censés améliorer la sécurité des naissances, ont surtout permis de fermer des maternités à tour de bras. Résultat : des trajets toujours plus longs pour accoucher, une surcharge dans les structures restantes, et une perte de lien humain avec les patientes. On accouche aujourd’hui dans l’urgence, la précipitation, parfois loin de chez soi, souvent sans suivi personnalisé.
Les auteurs rappellent une vérité dérangeante : les fermetures de maternités ne se justifient ni par la qualité des soins ni par des impératifs médicaux. Elles sont dictées par des logiques économiques. En concentrant les naissances dans de grosses structures, on fragilise les zones rurales, on accentue les inégalités territoriales, on laisse les femmes les plus précaires sans solution digne. Les syndicats comme la CGT alertent depuis des années sur le manque de moyens. Mais les autorités persistent à nier les liens entre fermetures et surmortalité.
La maternité à flux tendu
En néonatalogie, les taux d’occupation frôlent les 95 %. Le personnel manque cruellement, notamment les sages-femmes. En Seine-Saint-Denis, sur 42 postes, seuls 33 sont pourvus. Même en région parisienne, c’est la désertification médicale. On ne suit plus les femmes dès les premiers signes. On les suit dès le 8e mois si tout va bien. Les complications ? On les gère comme on peut, parfois trop tard.
Et ce n’est pas une impression : selon les auteurs, un tiers des décès de bébés pourraient être évités si le système n’était pas si tendu.
Le capitalisme en salle d’accouchement
Dans le privé aussi, la logique comptable règne. Le groupe Elsan – leader du secteur – ne garde que les maternités rentables, situées en grandes villes, là où les femmes peuvent payer, là où on peut recruter. Une maternité déficitaire ? On la ferme. On préfère une prothèse de hanche (6000 € remboursés) à un accouchement (trois fois moins). Le calcul est vite fait.
Et quand le personnel manque, on fait appel à des intérimaires grassement payés, parfois quatre fois plus que les titulaires. Ils viennent, ils partent, ils ne connaissent pas les protocoles. Et la loi Rist censée encadrer ça ? Contournée en silence.
Des solutions pourtant à portée de main
Les pays du Nord nous montrent que d’autres choix sont possibles : un registre complet des naissances, une vraie politique de prévention, un suivi renforcé des femmes, et des maternités humaines, à taille humaine. Pourquoi ne pas s’en inspirer ?
Pourquoi continuer à faire comme si tout allait bien, alors qu’il suffit de regarder les chiffres, d’écouter les soignants, de tendre l’oreille aux mères pour comprendre que notre système vacille ?
Un système sexiste, à bout de souffle
Ce que révèle aussi ce livre, c’est que le poids des stéréotypes continue de peser. En cas de drame, on accuse d’abord la mère : elle a trop attendu, elle n’a pas bien signalé ses douleurs, elle n’a pas suivi les recommandations. L’État, lui, se dédouane. Pourtant, les auteurs le martèlent : la mortalité maternelle est avant tout un échec collectif, un révélateur de nos choix politiques, de notre manière de considérer les femmes et les enfants.
Et maintenant ?
Ce n’est pas une fatalité. C’est le résultat d’années de décisions injustes, de logiques court-termistes, d’une invisibilisation constante des besoins des femmes. Ce sont elles qui accouchent. Ce sont leurs bébés qu’on enterre parfois. Ce sont leurs voix qu’on n’écoute pas.
Pourtant, si l’on se taisait moins, si l’on écoutait davantage, si l’on regardait la maternité non comme une ligne budgétaire, mais comme un acte profondément humain et politique, peut-être que demain, accoucher redeviendrait un acte de vie, et non un combat pour la survie.
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